(attention: toute reproduction est interdite)
En attendant le tome III, prévu pour ce 14 juin...
Prologue
Avril 2015
Un matin,
Pointe de Bihit, Trébeurden, Bretagne, France
Par
où commencer ?
Je me
suis réveillé ce matin, groggy. Vaseux.
Nauséeux
aussi. Bref, comme à chaque fois que je me bourre de ces médocs.
Néanmoins,
aujourd’hui quelque chose a changé. Un truc infime et indéfinissable, mais
suffisamment puissant pour me pousser à retranscrire mes dernières recherches,
chaque détail me ralliant à toi, me laissant ainsi la possibilité de me
souvenir, de me rappeler, pour ne rien oublier de nous…
De
toi.
Je
voulais le faire depuis si longtemps.
Aujourd’hui,
je me sens prêt.
Prêt
à replonger dans cette période particulièrement floue, dont seuls des fragments
de souvenirs subsistent.
Tout
a débuté durant l’été 2010.
Je
logeais alors chez mon cousin, Gauvain Le Bihan, vivant avec Tante Vie.
Toi,
tu venais passer un court séjour en gîte avec ta meilleure amie, Julie Mouchet.
Nos
chemins se sont souvent croisés. Seuls Julie et Gauvain se rencontraient. Se
contraient, aussi…
Jusqu’à
nos retrouvailles.
Inoubliables !
Intérieurement,
je bénis la chute en VTT de Gauvain, qui nous a tous deux réunis, en nous
projetant par la même occasion dans le passé, au moment sacré de mon
adoubement. J’étais alors le chevalier Lancelot et toi, la plus belle de toutes
les souveraines, la reine Guenièvre.
La
vie nous avait déjà séparés une première fois, lorsque nous avions quinze ans.
Ta mère, Mathilde Launay, veuve de ton défunt père, Alexis Launay, avait établi
un arrangement avec ma maman, Marie-Louise Rouxel et pleurant également la
perte de mon père, Pierre Rouxel, et ce dans le but de nous préserver des
desseins auxquels Morgane nous destinait.
Une
fois leur mensonge dissolu, nous avons succombé à notre incroyable attirance,
celle ayant précipité notre union le soir du concert à Telhouët.
La
nuit que nous projetions de passer au sein du gîte que tu louais avec Julie,
aurait pu être magnifique si seulement Morgane, encore elle, n’en avait pas
décidé autrement.
L’explosion
de ce dernier a perturbé notre vie. A failli coûter la tienne. Par bonheur, ton
pendentif t’a prémunie du pire. Tu n’en es sortie qu’avec une fracture du
bassin…
Grâce
aux soins de Julie, initiée par Tante Vie (alias Viviane la Grande Prêtresse
d’Avalon) dans le but de faire d’elle une enchanteresse, il ne t’a pas fallu
plus de deux jours pour te remettre à crapahuter.
Nos
liens ne cessaient de se consolider.
Notre
passion de grandir.
Notre
amour de s’approfondir.
Notre
désir de s’affoler…
Puis
un différend entre Gauvain et Julie a poussé cette dernière à le fuir et à
retourner à Liège. Elle venait alors de lui annoncer qu’elle était enceinte.
Heureusement
pour nos deux tourtereaux, Tante Vie s’est chargée de fournir quelques
explications à Gauvain. Ce qui a permis d’aplanir la situation entre eux.
En
revanche, pour nous deux, de nouvelles complications ont pointé le bout de leur
nez, en particulier lorsque Valérie a débarqué, avec sa fille Jeanne, ma
filleule de quatre ans et demi. Malheureusement pour nous, elle n’avait pas
oublié non plus d’emporter son lot d’insinuations et de mensonges, destinés à
nous séparer tous les deux.
Au
cours de nos escapades suivantes, nos visions se sont succédé, mais aucune ne
nous a révélé l’endroit sacré. La dernière nous envoyait en Côtes-d’Armor. Et
avec elle, l’idée de t’emmener à Trébeurden, dans la maison de notre enfance,
m’a taraudé. Fou de toi, je souhaitais profiter de l’occasion pour te demander
de m’épouser…
Le 13
juillet, jour du bal de Paimpont, j’ai appris accidentellement que j’étais le
père de Jeanne. C’est donc cette troublante vérité qui expliquait enfin le
comportement extrêmement violent de Guillaume Blanec, l’ex-mari de Valérie,
manifestait envers elle.
Cette
nouvelle m’a terrassé, au point de faire fuir quelques heures le temps pour moi
de digérer l’info.
Quand
je suis revenu auprès de toi, tout s’est précipité.
Ce
que je souhaitais te livrer depuis le début, à savoir mon incartade avec
Valérie la veille de mon départ pour la Bretagne, a explosé au grand jour.
Celle que je croyais être mon alliée a tout déballé. Et comme un con, je n’ai
pas su sortir un seul mot. J’étais paralysé par l’horreur.
Complètement
écœurée, tu t’es enfuie.
Je
t’ai couru après.
Mais
alors que je te rattrapais, Paul, ton ex, est apparu sans crier gare, brandissant
fièrement son téléphone sur lequel défilaient une panoplie de messages torrides,
tous envoyés de ton cellulaire. Tu m’avais pourtant certifié, quelques jours
plus tôt, avoir mis fin à votre histoire…
Désenchanté par tant de mensonges, je t’ai
quittée après t’avoir proféré d’atroces paroles.
Toutefois,
quelques pas ont suffi à me faire comprendre que je faisais erreur. Ton portable
avait disparu dans l’explosion du gîte. Il t’était donc impossible de te livrer
à ce genre de tromperie.
Affolé,
je suis retourné sur mes pas, vers ce parking où je t’avais laissée quelques
minutes plus tôt, alors qu’éclatait derrière moi le feu d’artifice.
Et
c’est là que je t’ai vue monter à bord de l’Audi de Paul…
Je me
souviens être tombé à genoux, terrifié et ébranlé à l’idée de te perdre.
Ce
que j’ignorais alors, c’était que cette séparation n’était que le début du
désespoir…
FUITE
Mercredi 14 juillet 2010
0 h 03,
Parking de l’abbaye, Paimpont, Bretagne, France
Hors d’haleine, l’esprit en totale incapacité de
formuler la moindre pensée cohérente et le cœur disloqué, Galaan demeurait les
genoux sur l’asphalte, les doigts cramponnés à sa masse capillaire.
— Autant te le dire tout de suite. Ce n’est pas
parce que tu vas fixer cette route de toutes tes forces qu’elle va revenir.
Désolé de te décevoir, mais t’es pas un super héros, mec.
Abattu, son cousin laissa lourdement tomber les
mains sur ses cuisses et releva les yeux vers cette voix rauque qu’il avait
oubliée, du moins le temps de sa descente aux enfers.
— Elle est partie, Gauv.
Ce furent les seules paroles qu’il était parvenu à
prononcer. Les seules porteuses de sens, de cette réalité pathétique et ô
combien destructrice.
— J’ai cru comprendre, ouais.
— Je l’ai perdue, constata-t-il les paupières se
fermant sous le poids de la douleur.
Debout à ses côtés, Gauvain demeurait impassible.
Les poings solidement enfoncés dans les poches de son jean et une casquette
anglaise vissée sur la tête, de laquelle dépassaient quelques mèches rebelles
rebiquant sur son front. Partagé entre le violent trouble de découvrir cet
homme, qu’il considérait comme son propre frère, dans un tel état de perdition,
et le désir de lui crier à quel point il avait fait preuve d’un crétinisme sans
précédent dans toute l’histoire de l’humanité.
— Bien sûr. Et blaireau comme t’es, tu comptes
rester planté là et la laisser s’en aller avec l’aut’ avorton… Allez ! Bouge-toi le derche.
Debout !
Il tendit une paume secourable vers Galaan,
ranimant alors le souffle d’espoir qui l’avait déserté depuis quelques minutes
et indispensable pour avancer.
— On va aller la chercher.
***
Quelques minutes plus tard,
Quelque part dans la forêt de Brocéliande, Bretagne, France
Les mains agrippées autour de son volant, en proie
à une confusion absolue, Paul roulait.
Et pendant ce temps, Gen regardait la nuit défiler.
Silencieuse. Perdue. Cherchant à rassembler les
parcelles de son cœur, éclatées et encore disséminées sur le gravier blanc du
parking de l’abbaye. À l’endroit même où sa vie avait basculé, quelques
instants plus tôt.
En la quittant, Galaan avait tout emporté avec lui.
Ne restait à peine que quelques fragments d’elle,
d’eux, de leur histoire… Sans parler de ce trou béant qui ne faisait que percer
sa poitrine à coups de forages intensifs, et ce, à mesure que l’Audi avalait
les kilomètres de cette route sombre au cœur de cette forêt aux atours
menaçants.
En refusant d’accorder le moindre crédit à ses
dires, il les avait abandonnés tous
les deux. Leur nous s’était dissous
dans la noirceur de sa rage. Sa frustration avait balayé toute la confiance
qu’ils avaient si difficilement érigée depuis leurs retrouvailles.
Elle était là, le regard égaré dans l’obscurité, cherchant
à comprendre les derniers évènements qui avaient précipité leur rupture et
avaient eu raison de leur relation.
Jusqu’à ce que, brutalement, une vague de panique
l’envahisse. Que faisait-elle à bord de cette voiture ? Avec Paul ?
— Arrête-toi, s’anima-t-elle soudain. Arrête-toi ! finit-elle par hurler
face au manque de réaction du jeune archéologue. Vite !
Éberlué, il obtempéra, bon gré mal gré, et
stationna l’A3 sur le bas-côté. Sa vue transperça la pénombre de l’habitacle et
détailla cette femme, belle comme un ange.
Un ange toutefois terrassé par une frayeur
indicible.
— Si tu ne voulais pas que je vienne, alors
pourquoi me l’avoir demandé ?
— Ce n’était pas moi.
D’une voix étranglée, elle venait une fois de plus
de se défendre d’un fait qu’elle ne pouvait elle-même expliquer.
Galaan ne l’avait pas crue. Comment convaincre
Paul, à présent, alors que son téléphone regorgeait de messages aussi
bouillants que la braise, tous issus d’un expéditeur inconnu et qui
l’avaient poussé à traverser la France pour venir la rejoindre ?
— Ils provenaient de ton téléphone, Gen.
La vérité sonna. Comment réfuter cela ? Comment se
justifier face à un tel quiproquo ? À moins qu’il ne s’agisse d’une manipulation…
— Je l’ai perdu.
Lentement, elle pivota vers lui, une lueur de
possibilité engageant sa détermination affaiblie. Et là, les mots jaillirent
d’eux-mêmes…
— Je l’ai perdu, il y a quelques jours. Peu après
t’avoir laissé un message vocal dans lequel je t’expliquais que je m’étais
trompée à notre sujet. Que je ne voulais plus partir au Mexique. Que je ne
voulais plus de nous.
Il déglutit douloureusement, incertain d’avoir bien
compris.
— Je n’ai jamais reçu cet appel, Gen.
— Pourtant je peux t’assurer que je l’ai fait. Je
t’ai appelé de nombreuses fois, mais sans succès.
— Pourquoi n’as-tu pas attendu pour me le dire de
vive voix ? Je
ne le méritais pas, d’après toi ?
Ses prunelles quittèrent les siennes pour se
déposer sur ses doigts s’entortillant sur ses cuisses. Il marquait un point.
Mais n’était-ce pas la seule erreur qu’elle avait réellement commise ?
— Si, bien sûr. Tu méritais que je t’en parle.
Mais… J’ai perdu patience…
Un silence lourd et engluant s’abattit sur eux.
L’évidence claqua dans l’air avant même d’avoir été formulée.
— C’est pour lui, n’est-ce pas ? C’est pour lui que tu as
renoncé à nous ?
Gen sentit sa gorge se resserrer, à l’instar de son
muscle cardiaque qui effectua un soubresaut. Impression désagréable, augmentant
davantage le vide creusé en elle, poursuivant son inlassable progression. Ça ne
s’arrêterait donc jamais ?
Son gris tempête se confrontant au brun ténébreux
et liquéfié de Paul, elle se limita à hocher la tête.
Oui, c’était pour lui.
Pour cet homme qui possédait son cœur, sa raison,
son esprit… Son entièreté. Celui dont elle était incapable de se passer tant
son être en était profondément imbibé.
C’est alors qu’un manque glissa le long des parois
de ce puits de souffrance qui l’évidait lentement. Le manque de lui, de sa présence rassurante aux
pouvoirs à la fois calmants et enivrants. Elle devait le retrouver, risquer le
tout pour le tout. Lui expliquer, quitte à hurler, à se débattre pour le
maintenir auprès d’elle. Il lui était totalement inconcevable de le perdre.
Une fois encore, cette idée la foudroya.
Une urgence émergea. Impérieuse. Absolue !
— Écoute, Paul… Je suis réellement désolée si tu as
parcouru toute cette distance, si tu as cru en moi… Pour rien. Je ne voulais
pas te blesser. Je te le jure, débita-t-elle dans un flot de paroles
ininterrompu. Maintenant, est-ce que tu pourrais me reconduire, s’il te plaît ? Je voudrais retourner
chez moi.
— Chez toi ?
— S’il te plaît, l’implora-t-elle, le regard
suppliant. Ramène-moi.
Désabusé, le jeune homme secoua la tête. D’un
mouvement las, il tourna la clé et démarra. Sans un mot. Sans un regard vers
elle.
La situation lui échappait complètement. Tout comme
elle… Cette femme qui avait conquis son cœur, mais qu’il allait devoir laisser
s’envoler.
Au fond, ne l’avait-il pas toujours pressenti ?
***
Au même instant,
Quelque part en forêt de Brocéliande, Bretagne, France
Ses yeux perçants et avides de la localiser
scrutaient les abords des bois plongés dans l’obscurité.
— On ne la retrouvera jamais. Si ça se trouve, il
l’a ramenée avec lui en Belgique, grommela Galaan, l’anxiété lui tordant les
viscères.
— Elle serait au moins repassée par Telhouët pour
reprendre ses affaires. Or, si ça avait été le cas, Tante Vie nous aurait
avertis.
Mais cet argument ne suffit pas à apaiser ses pires
craintes, soit celles consistant à imaginer Gen succomber aux charmes de
l’archéologue, ainsi qu’à la sécurité et à l’ordre que lui inspirait son
ancienne vie.
Que faisait-elle en cet instant ? Que faisaient-ils ?
S’étaient-ils arrêtés pour discuter ? C’était plus que
probable.
L’avait-il prise dans ses bras pour la réconforter ? Il y avait fort à parier
que oui…
Merde ! Elle est à moi !
L’avait-il embrassée ? Une
fois encore, cette possibilité s’imposa d’elle-même, d’autant que belle et
séduisante comme elle était ce soir, il était plutôt difficile pour un homme
normalement constitué de pouvoir lui résister.
S’étaient-ils retranchés à l’arrière de la voiture ?
Non !
S’était-elle abandonnée, offerte à lui ? De cette manière qu’il
n’avait pas su partager avec elle ?
Faisaient-ils l’amour ?
Cette simple pensée le percuta et poignarda son
cœur déjà bien meurtri.
Je
DOIS la retrouver !
— Putain ! soupira bruyamment Gauvain, sortant Galaan de ses
lugubres réflexions, on peut dire que cette blondasse aura foutu un sacré
bordel !
Mais au moment où il s’apprêta à approuver son
cousin, le téléphone de ce dernier retentit à travers les diffuseurs du Toyota.